CACHE' DANS LE NUAGE
2
HERODE
" à ces mots le roi Hérode se troubla et tout Jérusalem avec lui
" Mt 2,3
Les troubles des hommes sont de nature différente, ils dérivent de causes
diverses mais ce sont toujours des signes qu'un tremblement plus ou moins
profond secoue les fondations. Chaque homme croit et veut que ses propres
fondations soient stables, éternelles. L'édifice de la vie qu'il y a construit
au dessus doit arriver intact au-delà de la mort. Si les fondations bougent
tout est en danger, tout perd sa sécurité, il faut recommencer de nouveau.
L'homme voudrait éviter les fatigues intérieures, il désire donc que tout
reste stable. Forts et valables sont les désirs nourris toute la vie et
qui l'ont fait fatiguer et suer: le désir de richesses, d'un travail stable,
d'une position sociale, de tâches honorées et enviées, d'une famille à
soi, d'une maison. Ces fondations de la vie il les apprécie même chez
les autres, il les voit même comme uniques pour eux aussi et c'est sur
la base de ces fondations qu'il juge et éloge les agissements des hommes.
Ainsi tout procède dans l'ordre, dans les règles, dans la normalité. Ainsi
sa propre vie conserve de la valeur aux yeux de tous.
Hérode était tranquille. Sa position de roi normal, de roi envié et de
roi respecté, était sûre et ferme. Personne n'osait mettre en discussion
sa sécurité et il jouissait de pouvoir continuer sans préoccupations son
métier de roi. Ce qu'il faisait c'était à faire: tout le monde le lui
disait. Mais qu'est-il arrivé ce jour-là? Un tremblement de terre? Oui,
un tremblement intérieur d'invraisemblable puissance. Des gens ignares
et bizarres, contents et sérieux, vont lui demander une nouvelle. Il ne
la connaît pas mais de là survient pour lui une question:
Un autre roi? Qui suis-je- donc moi? Peut-être quelqu'un regardera à lui
plutôt qu'à moi? Ils m'aimeront moins que lui? Le tremblement devient
toujours plus fort. Il secoue les fondations: alors, j'ai tout raté? Ce
que j'ai fait est-ce que je n'aurais pas dû le faire? Aurait-il fallu
que je tienne compte qu'il y avait un autre roi? Ne puis-je continuer
à faire et à vivre comme auparavant? Dois-je tenir compte de lui, de ses
désirs et de ses volontés?
Le tremblement entraîne tous, tous ceux qui comptaient sur lui. Eux aussi
ne se sentent plus sûrs. Qu'arrivera-t-il? Si celui que nous avons servi
n'est plus sûr ni stable, nous devrons changer? Le tremblement est général
comme le trouble et l'incertitude. Ceci arrive parce qu'ils ne savent
pas. Ni Hérode ni les habitants de Jérusalem savent que le roi qui est
né ne portera pas sur sa tête des couronnes de gloire, il ne cherchera
pas d'être servi, il ne remplacera personne. Ce sera un roi qui mettra
de nouvelles fondations au cœur des hommes à la vie et à la fatigue de
chacun et aux agissements de tous. Il sera lui-même fondement stable et
éternel pour chacun et pour la ville. Il est venu pour déraciner ce qui
était planté sur un terrain ébouleux et instable et pour planter dans
un terrain plan et hospitalier. Il est venu pour être un rocher pour ceux
qui veulent construire pour toujours! Il est venu pour ouvrir des horizons
infinis à ceux qui regardent seulement au jour suivant. Il est venu pour
donner la gloire de Dieu à l'homme qui ne sait chercher que celle de la
terre.
Si Hérode le savait son trouble se transformerait en une joie irrésistible.
Si la ville le croyait, ce serait une fête continuelle. Mais l'un et l'autre
sont tellement attachés au passé qu'ils n'acceptent d'autres garanties
pour leur futur. Ils gardent les yeux tournés en arrière et dorénavant
ils ne veulent que ce qu'ils possèdent déjà.
Hérode n'est pas le seul. Moi aussi j'ai été troublé.
Lorsque je croyais d'être sûr et que personne n'aurait eu plus rien à
me dire et ma vie se déroulait comme j'en étais convaincu et comme je
voulais, alors quelqu'un m'a parlé d'un autre roi, différent que moi.
Il était roi pour toujours et avait lui aussi des désirs, une volonté
et quelques projets sur ma vie o. Cela a été comme un tremblement de terre
et tel il est resté jusqu'au jour où j'ai dit à mon cœur: Tais-toi car
c'est sa Voix qui doit parler. Il connaît l'histoire, il a dans ses mains
les clés de l'avenir et tout lui appartient. Chaque vie est précieuse
à ses yeux et la mienne règne davantage quand c'est à Lui qu'elle sert.
Alors le tremblement cessa, le trouble s'apaisa et plus rien ne s'agita
désormais. Grâce au nouveau roi mon royaume présumé, fondé seulement sur
mon cœur, a trouvé une nouvelle stabilité en Le servant. Ce que je croyais
mien je le lui ai donné et Lui m'a donné du sien.
Ce tremblement continue à agiter la terre et beaucoup de cœurs sont troublés.
Mais lorsqu'ils se consignent au Roi et qu'ils cherchent seulement sa
royauté sur eux, alors une paix nouvelle descend sur eux comme il n'en
avaient jamais joui avant! Lorsqu'ils acceptent qu'Il conduise leur vie,
ils découvrent d'être nés à une vie nouvelle, sous un nouveau Soleil.
Et cette vie et ce Soleil ne seront jamais plus refroidis par aucun brouillard
qui désoriente. La ville qui suivait mes désirs restera encore troublée
jusqu'à quand, comme moi, elle n'acceptera le nouveau Roi. Alors ce sera
une fête et une joie grande. Je vais l'attendre.
SIMEON
" Il le reçu dans ses bras, le bénit et dit : Maintenant, Seigneur,
tu peux laisser ton serviteur s'en aller en paix" Lc 2,28
On sait que les moments de l'attente sont les moments plus vécus par
l'homme: en ces jours ou en ces heures lorsqu'il attend quelqu'un ou quelque
chose, il jouit, il travaille, il prépare, il pense et il met en mouvement
toutes ses énergies.
Mais on ne sait pas avec autant de certitude que toutes les attentes,
les plus diverses, déçoivent dès qu'elles s'achèvent. Seule une attente,
lorsqu'elle s'achève, déverse dans notre cœur et pour toujours la paix
et la plénitude.
Toutes les attentes, lorsqu'elles sont comblées, laissent l'espace à d'autres.
Une seulement est différente: c'est l'attente de Jésus.
Celui qui attend Jésus, quand celui-ci arrivera, entrera dans une paix
stable, car Jésus introduit dans les cieux, dans la plénitude de Dieu.
Il est la paix, et lorsqu'il arrive dans un cœur, dans une vie, il ne
peut que la remplir, la porter à la perfection.
J'attends Jésus. Déjà pendant l'attente il anticipe le fruit du don de
sa Présence. Pendant que je l'attends; déjà cette attente comble mon cœur
de joie et de sérénité! Comme s'il était déjà présent.
J'attends Jésus. Il ne convient pas d'attendre quelque chose ou quelqu'un
d'autre: il passera et je resterai vide. L'expérience parle clair. Non
seulement mon expérience mais celle de l'histoire, celle des peuples dit:
la seule attente qui comble c'est celle de Jésus. Lorsqu'il arrive, notre
vie a atteint son sommet et pourrait laisser le monde si ce n'était pour
quelques tâches à l'égard de ceux qui attendent encore.
Ainsi que St Paul affirme après avoir été rejoint par Jésus: il vaut mieux
laisser ce corps, à moins qu'il ne soit utile pour vous que je reste!
Siméon, peut-être pour l'âge ou parce qu'il n'entrevoyait pas des tâches
particulières, déclare solennellement et ouvertement la fin de sa vie.
Il a fini d'attendre, il a fini de vivre. Il a vu cet enfant, il a vu
Jésus, il n'a plus rien d'autre à voir. Il n'a plus besoin de vivre parce
qu'il vivait pour l'attendre, pour le voir. Cet enfant qui ne sait porter
que son nom, remplit les attentes de cet homme. Dans ses bras, ce Nom
a un poids incalculable, mais c'est le Nom qui porte sa vie, c'est le
Nom qui porte les siècles de son peuple, c'est le Nom qui enveloppe de
lumière les hommes et les évènements de chaque nation qui a vécu, vit
et vivra sous le soleil.
Dans ses bras le Nom de Jésus devient si grand qu'il occupe tout l'espace,
même si les langes recouvrent un poids léger. Siméon a vécu dans l'attente
de ce jour."Il le vit et jouit". Cet enfant ne lui a rien donné,
il ne lui a donné ni de l'or ni même des paroles de sagesse. Il ne lui
a donné aucun signe, il ne lui a rien promis. C'est pour cela que dans
le cœur de Siméon la joie est grande parce qu'elle est libre. C'est une
joie libre de soi. C'est la joie qui vient de l'achèvement de l'attente
d'un amour véritable.
L'amour véritable attend Jésus parce qu'il est bon pour Lui d'arriver,
pour qu'Il reçoive la gloire, pour qu'il puisse accomplir sa tâche, pour
qu'il puisse achever sa mission. L'amour véritable attend Jésus pour pouvoir
se donner à Lui, pour pouvoir concrètement Lui donner la vie, pour pouvoir
mettre à Sa disposition les jours, les années, les énergies, la santé,
la volonté, l'affectivité, la mémoire, l'intelligence. L'amour véritable
attend Jésus pour se laisser sauver par Lui, selon sa manière de sauver.
Siméon attendait Jésus avec un véritable amour: à présent qu'il est arrivé,
il n'a plus rien à attendre!
Il n'attend pas Jésus pour qu'Il lui allonge la vie, pour qu'Il le rende
agréable aux hommes, pour qu'Il le soulage dans la souffrance, pour qu'Il
l'allège de ses responsabilités. Non. Il l'a attendu parce que c'est le
Sauveur et Lui sait comment sauver. A présent qu'il y a le Sauveur, les
peuples sont sauvés, le monde est réglé, les espoirs ont de quoi être
comblés.
J'attends Jésus. Il m' arrive fréquemment d'attendre pour un instant ou
pour une journée, ou pour un mois quelque chose d'autre. Je m'aperçois
ensuite que c'est du temps perdu. Je dois apprendre à remplir toutes les
attentes avec l'attente de Jésus ou à les remplacer par celle-ci. Pour
les autres aussi j'attends Jésus. Beaucoup de monde s'adresse à moi avec
l'attente dans le cœur. Ils attendent de moi, ou du monde, ou d'eux-mêmes
quelque chose. Je les aide alors quand je les déçois aussitôt afin qu'ils
n'attendent rien d'autre que Jésus. Sinon je leur prépare des déceptions
plus grosses. Pour toi, j'attends Jésus.
Pour moi et pour toi je voudrais l'attendre seulement avec un amour véritable:
je désire qu'il puisse être accueilli, qu'il puisse parler et être obéi
promptement; je désire qu'il puisse rencontrer les regards des hommes,
le mien! et les purifier; je désire qu'Il puisse trouver quelqu'un prêt
à se mettre a sa disposition pour ses désirs: l'attente c'est la préparation
de mon cœur à ne pas avoir de projets, de volonté, inclinations, de hobbies,
d'occupations bonnes; je le prépare vide, pour qu'il, me trouve aussi
tôt disponible à l'aimer sans perdre de temps, sans qu'il ait à attendre
que je termine quelque chose que j'ai voulue!
Quand il vient, ma vie peut disparaître: seule la sienne devra apparaître
durant les jours et les œuvres qu'il me demandera de lui offrir pour qu'Il
puisse porter le salut en d'autres cœurs.
ANNE
"Elle servait Dieu nuit et jour dans le jeûne et la prière "
Lc 2,37 b
Les hommes aiment commander, ils n'aiment pas servir. Ou du moins ils
veulent faire ce qu'il leur semble bon. La liberté est désirée et cherchée
avec toute diligence. Je me suis aperçu toutefois que même le mot liberté
peut être traduit par l'autre, le service! En effet je remarque que lorsque
je cherche la liberté, c'est pour pouvoir me servir moi-même! Je veux
servir mes envies, mes projets, quelquefois même mes passions. Et j'appelle
ce service liberté! Ce serait plus juste de l'appeler esclavage. C'est
un esclavage qui obéit aux humeurs du moment et qui se laisse entraîner
par les conditions atmosphériques comme par les jugements des autres hommes.
Il a l'apparence de la liberté, mais il ne porte pas les fruits de la
véritable liberté du cœur, il ne porte pas au développement, des valeurs
personnelles, ni des capacité d'amour, de bonté, de disponibilité, de
générosité, de fidélité, il ne donne pas une empreinte originale à la
vie.
Ce type de liberté qui tend à servir soi-même met le cœur en proie à une
quantité de craintes. La crainte de ne pas jouir suffisamment, la crainte
d'être inférieur aux autres, la crainte du jugement des voisins, la crainte
des intentions des hommes, la peur de tomber malade, de ne pas arriver
à faire, de perdre sa place, la peur de ne pas gagner suffisamment, la
peur de mourir tôt et la peur de mourir tard. La liberté devient l'esclavage
des choses et l'esclavage de la personne. Anna, vielle femme de quatre-vingt-quatre
ans ne cherchait pas la liberté. Elle était en harmonie avec le mot "service".
Elle voulait servir. Ses attentions étaient adressées à Dieu, à ses désirs,
à sa volonté, à sa gloire. Ses réactions et son regard vers les hommes
et les choses étaient pleins de la lumière venant de sa Présence. Cette
Présence était pour elle plus importante que la sienne: c'est Lui qui
doit être aimé par les hommes, c'est Lui qui mérite d'être écouté, c'est
Lui qui, tout en n'ayant besoin de rien, est digne de tout posséder. C'est
sa Sagesse qui gouverne d'un amour prévoyant toutes choses et les porte
à la perfection avec patience mais certitude. Lui aussi existe et est
présent de façon plus stable et continue que les hommes et les choses.
Pour Anne la Présence de Dieu est devenue si lumineuse qu'elle ne distingue
plus le jour de la nuit. Qu'il y ait le soleil ou qu'apparaisse la lune
dans le ciel, rien ne change dans son cœur: là, au fond de l'âme, une
lumière éblouissante envahit tout.
Anne sert Dieu. Elle a découvert dans le service de Dieu une telle grandeur
qu'elle ne le laisse plus ni dans la maturité ni dans la vieillesse. Le
service de Dieu la rend libre des choses et des personnes. Elle manifeste
cette liberté et en même temps elle continue à la recevoir moyennant le
jeûne et la prière. Le jeûne manifeste sa liberté par rapport aux choses,
à elle-même, à ses propres désirs et, même, exigences: ce jeûne est le
signe concret de la Présence de quelqu'Un plus grand qu'elle-même, digne
d'une attention plus grande ! La prière manifeste sa liberté par rapport
aux personnes.
Le rapport avec Dieu est plus décisif que celui avec les personnes qui
nous entourent et il occupe le cœur en le remplissant de son amour pour
tous!
Si Anne avait été préoccupée de soi-même, elle aurait été tourmentée par
le désir d'avoir des rapports diversifiés avec les docteurs de la loi
qui enseignaient dans le temple et avec les visiteurs et avec ceux qui
demandaient l'aumône. La prière, ce rapport d'amour exclusif avec Dieu,
la rend libre de rencontrer quiconque, de cueillir de chacun les signes
de la Miséricorde du Seigneur et de donner à tous, librement, les richesses
de son cœur. Le jeûne et la prière sont pour elle une source continue
de liberté. Mais elle ne se préoccupe pas d'être libre: elle ne veut pas
être libre, elle veut seulement servir son Dieu !
Je vois par intuition souvent dans les personnes que je rencontre une
façon différente de me traiter. Simplement parce que je suis prêtre. Il
n'y a pas de liberté dans leur cœur. Ma présence les oblige à être différents.
En moi aussi je remarque cette forme d'esclavage. Et surtout quand je
suis vide de prière. La prière -cette action considérée par la plupart
des gens une perte de temps me donne la liberté. La prière m'immerge en
Dieu et me fait regarder aux hommes avec amour, avec cet amour qui me
détourne des réactions instinctives que l'on a vers les hommes, avec cet
amour qui me fait voir en eux la personne aimée par le père et non leur
tâche et les dimensions de leurs diplômes.
Prière et jeûne, instruments de liberté. Le jeûne non seulement au sens
strict, mais comme détachement réel des choses, comme disponibilité à
donner et à laisser aux autres ce qui est à moi, que j'ai peiné pour avoir,
ce jeûne est un fruit précieux et une source de liberté. Le jeûne, comme
abandon des exigences du corps et du cœur parce que la Présence de Jésus
est plus grande et plus vraie, c'est le grand don de la liberté.
Le jeûne et la prière sont un service de Dieu qui enrichit la vie de l'homme.
Il me semble que c'est moi qui le sert mais en réalité c'est Lui qui,
à travers mes actions, sert mon existence et la fait grandir aux dimensions
de l'éternité, jusqu'à arriver à accueillir la Présence du Fils!
Le Fils, parvenu dans mon cœur, me donne la sensation d'une nouvelle parenté,
il me donne la certitude d'habiter déjà dans la maison du père là où Lui,
le jour et la nuit, vit pour moi.
LES GRANDS PRETRES ET LES SCRIBES
" Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple et
ils' enquit auprès d'eux
du lieu où devait naître le Christ " Mt 2,4
Je suis submergé par les livres. Des armoires, des étagères, le grenier
remplis de livres. Livres anciens et revues au dernier cri. On envie ceux
qui les ont écrits. Parfois ils me font de la peine. En tous cas, je me
fais compassion moi-même. J'ai passé des périodes de ma vie, des mois
et des années, où j'étais convaincu que le savoir, l'instruction, la connaissance
de ce qui était écrit sur ces piles de papier, était la vie et le salut.
Je lisais pendant la journée, je lisais la nuit. Je soulignais, je conseillais
aux autres de lire. Ce n'étaient pas des lectures frivoles, ni mauvaises.
Elles étaient bonnes. Elles parlaient de Dieu, de la connaissance que
les hommes ont de lui ou veulent avoir. Elles parlaient de Jésus, de son
enseignement, de son œuvre. Elles me faisaient connaître le sens et la
signification expresse ou présumée de la Parole de Dieu. Ceux qui avaient
écrit devaient avoir eu un grand amour pour le Seigneur et pour sa Parole.
Toutefois, quant à moi, je lisais pour connaître, pour savoir, pour devenir
grand, pour remplir ma mémoire de concepts et de belles phrases sur mon
Dieu, pour être au niveau de ceux qui parlaient de Lui, pour pouvoir enseigner
aux autres ce qui, avec fatigue et enthousiasme me donnait l'occasion
d'apparaître sage et informé. L'amour pour le père et l'obéissance à Jésus
n'étaient pas exclus en théorie, mais ne trouvaient ni le temps ni l'espace
ni les décisions pour se développer.
Je voulais prendre les informations sur Dieu en tâchant de me convaincre
que c'était pour le grand amour que je lui portais. Mais avec Lui je ne
perdais pas de temps. Je le perdais avec les informations. A présent je
sais que c'était une perte de temps et un gaspillage d'énergies que d'être
fermé à l'action de l'Esprit.
Les grands prêtres et les scribes interrogés par Hérode font étalage de
leur érudition. Ils savent où doit naître le Messie. Ils le savent avec
précision.
Ils l'ont découvert dans les livres des prophètes. Ils ont employé une
mémoire et une intelligence exceptionnelles pour repérer dans les longs
rouleaux de parchemin ces nouvelles. Ils étudient et il savent. Ils savent
donner des informations à ceux qui les leur demandent. Ils sont à disposition
du roi. Quel honneur pour eux de pouvoir expliquer au roi cette nouvelle
et le convaincre! Que le Messie devait naître à Bethléem; un petit village
voisin, peu important sinon pour cette référence. Quel prestige auprès
des gens: seulement eux connaissent ces choses. Les gens les savent parce
qu'eux les leur ont fait connaître. Eux les savent parce qu'ils les ont
lues. Aux yeux des hommes ils ont beaucoup de chance. Peut-être le Seigneur
aussi jouit du fait: qu'ils sachent, qu'ils aient étudié avec attention,
participation et diligence de façon à savoir ce qu'il a fait écrire aux
prophètes. Mais le Seigneur, le Père, attend quelque chose d'autre.
Il avait donné ces nouvelles au moyen de ses prophètes pour que son Fils,
destiné à conduire son peuple, fût accueilli, cherché, aimé, obéi, écouté,
adoré, exalté. Dieu avait fait savoir ce qui était utile et nécessaire
pour que 1'homme se laisse sauver par Lui par l'intermédiaire de son Messie.
Le père s'attend des hommes un cœur prêt à adorer et glorifier son Fils,
un cœur prêt comme celui des Mages.
Eux, les scribes et les grands prêtres se contentent de savoir. Il ne
leur manque rien. Ils jouissent de l'estime et de la renommée, ils sont
importants. Tous s'inclinent devant eux et écoutent avec attention leurs
paroles. Rien d'autre ne sert à leur vie. Quel salut peuvent-ils encore
s'attendre? Si le Messie arrivera, il se pliera lui aussi devant eux:
il tiendra certainement compte de leur savoir, il les laissera continuer
à étudier les Ecritures, à informer le peuple, à être recherchés et honorés.
Il n'y a pas besoin de s'agiter pour le chercher. Ils laissent que les
autres, les païens, les pauvres, les ignorants se mettent en mouvement.
Eux, ils ne le cherchent pas, ils ne s'en servent pas. Lorsqu'il viendra,
il les consultera et eux seront encore plus honorés !
Ma position devant les Ecritures et devant Dieu serait encore la même
si sa miséricorde n'était pas intervenue. Il m' a permis de me découvrir
pécheur, et encore plus pécheur que moi-même, jusqu'à battre les records
de péché. Ainsi moi, qui savait tant à l'égard de Dieu, je me retrouvais
loin de ses désirs. Ma connaissance de Lui ne m'aidait pas à sortir, à
me sauver. J'ai dû chercher son amour. J'ai dû me présenter à Lui pour
me laisser aimer et me laisser traiter avec miséricorde. Ce pas me l'a
fait connaître davantage mais avec le cœur, non à travers les livres.
Le fait de connaître Dieu avec le cœur me porte à perdre du temps avec
Lui, mais pas avec ce que les hommes découvrent de Lui. Connaître Dieu
avec le cœur me porte à chercher Jésus, dans une grotte obscure de Bethléem.
Si les autres ne me demanderont plus rien de Dieu, que m'importe? Mes
réponses les meilleures ne valent pas celle qu'ils découvriraient par
intuition en me voyant agenouillé devant le berceau d'un Enfant ou devant
le sépulcre du Ressuscité, ou devant le Pain rompu pour la faim des hommes.
Et moi aussi je ne demanderai plus rien de Dieu sinon à ceux qui l'ont
aimé et cherché avec le cœur et ont accueilli son Fils ré à Bethléem !
Ce ne sont plus mes paroles, celles grappillées sur les livres, qui donnent
de l'espoir aux hommes, mais c'est le fait de courir vers Lui avant tout,
pour le voir, l'entendre, pour lui donner mon amour et ma force, pour
me laisser commander par ses signes. Il attend avec patience, et ce n'est
même pas moi qu'Il attend: Il attend seulement le regard du Père. Je ne
vais pas à Lui parce qu'il ait besoin de moi, mais parce que, loin de
Lui, je serais toujours comme l'eau qui ne se calme sinon quand elle atteint
la mer.
MARIE E T JOSEPH
" Joseph se leva, prit avec lui l'enfant et sa mère, de nuit, et
se retira en Egypte " Mt 2,14
Combien de fois on m'a adressé des questions comme celle-ci: voilà, qu'ai-je
gagné en allant à la Messe, en étant honnête et bon? Juste à moi qui ai
cherché d'obéir au Seigneur, il m' arrive ce malheur? Qu'ai-je fait de
mal ?
Oui, dans la mentalité du monde il y a cette conviction: celui qui opère
bien mérite le bien, celui qui fait le mal mérite le mal. Celui qui souffre
doit avoir fait quelque chose. Et s'il n'a rien fait de mal, c'est une
injustice de la part de Dieu. Quelqu'un, à vrai dire beaucoup de monde,
arrive à ce blasphème.
Je crois que cette attitude vient d'une différente interprétation des
mots bien et mal. Dieu doit donner à ces mots un sens différent par rapport
à l'homme, un sens plus complet, plus profond, moins superficiel, plus
clairvoyant, plus exact. L'homme mesure le bien avec le mètre des quatre-vingt
ans et du "tout de suite". Dieu le mesure avec le mètre de l'éternité
et de "tout en son temps".
Ainsi l'homme ne comprend pas les intentions et les méthodes de son Dieu.
L'homme encore mesure le bien en partant de soi et en arrivant à soi:
son mètre devient donc un cercle qui exclut les autres et qui devient
une chaîne. Dieu mesure le bien en partant de son amour pour nous et de
nous et en arrivant à tous: son mètre ainsi ne termine plus et devient
un accueil éternel.
Il serait bon que l'homme puisse user le mètre de Dieu pour mesurer le
bien! Mais c'est souvent impossible car nos bras n'arrivent, pas à s'élargir
comme les siens pour le tenir et nos yeux ne sont pas assez hauts pour
voir où il arrive!
Je cherche du moins de ne pas employer le mètre de l'homme et de laisser
Dieu libre d'employer le sien. Tu sais, père, ce qui est bien pour moi.
Tu sais ce qui est bien pour l'Eglise. Tu sais ce qui est bien pour le
monde entier et pour les générations futures. S'il m'arrive quelque chose
de mal, tu sais déjà pourquoi, tu as déjà même prévu dans tes projets
de transformer ce "malheur" en un agréable don d'un amour plus
grand; ainsi que le maçon. qui néglige de mettre des briques dans le mur
de la maison, et ce vide deviendra une fenêtre pour que le soleil puisse
entrer, ou une porte pour que puisse entrer l'amour!
Joseph et Marie doivent avoir raisonné ainsi pendant que ce don immense
q'ils avaient reçu, cet Enfant, commençait à devenir lourd, à affaiblir
les bras et à fatiguer les jambes et les pieds, les obligeait à laisser
les parents et les amis, un travail sûr et une maison toute prête, pour
s'en aller errer qui sait où. Le lieu où ils se dirigeaient leur rappelait
un autre Joseph, auquel l'amour de son père avait eu comme conséquence
d'être vendu, de vivre en esclavage et enchaîné. Mais son Dieu l'accompagnait
jusqu'au fin fond des prisons égyptiennes, dans la plus grande disgrâce.
Ce Dieu avait mesuré les temps que l'homme ne mesure jamais et avait préparé
dans la douleur un avenir de salut et d'espéance. Joseph et Marie se rappelaient
que Dieu conduit au bien toutes les choses pour ses fils, qu'Il met à
l'épreuve et donne la victoire à l'humble qui se soumet. Ils se rappelaient
que Dieu a des temps plus longs que les nôtres à préparer. Ces souvenirs
devenaient force et joie. Joie et force pour vaincre les tentations du
monde qui se faisaient entendre quelquefois même par la voix de personnes
jusque là amies: Que te sert-il d'être le père du Fils de Dieu? Que te
revient-il d'être la mère du Sauveur? De quel type de roi s'agit-il? Ne
serait-ce pas toute une duperie?
Marie et Joseph rendaient leur silence encore plus silencieux. Qui sait
combien sont grands les desseins de Dieu! Si Joseph vendu comme esclave
est devenu vice-roi d'Egypte, quelle gloire prépare Dieu pour cet enfant!
Dieu est grand, il connaît l'histoire future. S'il veut la préparer avec
notre souffrance, avec notre fatigue, avec notre encore plus grande pauvreté,
nous voici! Si notre vie peut servir pour la joie de beaucoup de personnes
et pour que beaucoup d'hommes puissent devenir fils pour Dieu, la voilà.
Nous la donnons à cet enfant.
Si nous devons souffrir ainsi pour lui, qui sait combien Il devra souffrir
pour nous'!
Dieu est grand, Dieu sait, Dieu conduit. Nous sommes à Lui. Notre vie
à ses yeux est plus précieuse qu'aux nôtres parce qu'elle est à Lui! Nous
nous laissons conduire par Lui même dans le désert, même dans l'obscurité,
dans la nuit. Les mains des hommes ne peuvent qu'opérer les desseins de
Dieu pour le salut et l'amour. Rendons gloire à Dieu!
Joseph et Marie ne voyaient plus que cet enfant confié dans leurs mains.
Pourvu qu'Il vive, pourvu qu'Il soit protégé, pourvu qu'Il grandisse,
nous pouvons tout supporter."Je puis tout en Celui qui me donne la
force".
Le mètre de l'amour de Dieu avait rejoint Marie et Joseph. Et ils se laissaient
mesurer par ce mètre et ils n'en voulaient pas un autre.
Moi non plus je n'en veux pas un autre. Je sais que mon Dieu est père
et ne cède à personne sa Paternité. Je sais que ma vie est précieuse à
ses yeux. Personne ne me fait plus peur même si on me dit que ma prière
est inutile et que mon obéissance ne sert à rien et que mon Dieu ne paie
pas bien; Je ne me sers plus du mètre des hommes. Le bien pour moi c'est
ce que Dieu veut pour moi et ce qu'il permet pour moi. Et je sais que
c'est un bien non seulement pour moi mais pour ceux aussi qui voudraient
m'en priver en m'éloignant du Cœur du Père.
Exactement comme la fuite nocturne de Joseph et Marie a été un bien pour
eux et pour moi.
JESUS
" Pourquoi me cherchiez-vous? Ne saviez-vous pas que je dois m'occuper
des choses de mon père?" Lc 2,49
Chercher Jésus
C'est une entreprise parfois angoissante. Il semble de ne plus le voir,
de ne plus l'entendre, de l'avoir perdu pour toujours. Il te semble que
sa Présence, si douce, si belle et satisfaisante, qui te donnait la joie
de vivre soit dans la solitude qu'en compagnie, a disparu. Et c'est comme
si la vie avait disparu. Tout devient obscur, tout devient vide, comme
si on avait été trompés.
Pourquoi? Il me semble l'avoir compris par intuition et je veux le dire.
Je trouve en effet beaucoup de personnes, âgées et moins âgées, qui me
confient d'avoir perdu la foi. Elles sont désespérées -ou presque- parce
qu'elle pensent ne plus pouvoir voir Jésus, ni l'aimer, ni jouir de sa
Présence. Quelqu'un continue en souffrant à chercher Jésus, le Jésus de
l'enfance, de sa propre enfance spirituelle, ce Jésus "tout pour
moi", ce Jésus "Enfant" qui te laisse l'idée et la satisfaction
de pouvoir dire de vivre pour Lui. A ceux-ci je dis généralement:
Enfin! Finalement tu as perdu Jésus! Finalement Jésus est mort en toi!
Voici l'heure nouvelle, l'heure véritable de ta vie!
Marie et Joseph cherchaient leur enfant. Ils le cherchaient "avec
angoisse". Ils le cherchaient parmi les parents et les connaissances,
parmi les hommes. Ils le cherchaient nuit et jour. S'il est perdu, tout
est perdu. La vie, destinée par Dieu à faire grandir et à protéger son
Fils, a complètement échoué. Il n'y a plus ce fils pour lequel ils vivent,
pour lequel ils souffrent, pour lequel ils ont été choisis parmi tous.
Leur angoisse est bien compréhensible, plus que normale. Douze ans avant
ils avaient porté cet enfant au temple et l'avaient offert au Seigneur.
Puis, moyennant l'offrande de deux colombes, ils l'avaient racheté. Le
Fils de Dieu était leur fils. Ils avaient l'honneur secret de vivre pour
Lui et avec Lui. A présent ils doivent retourner au temple, non plus pour
le porter mais pour le reprendre. Il est là. En montant les gradins Marie
et Joseph doivent s'être souvenu que plusieurs siècles avant, sur ce même
mont, Abraham était monté pour livrer à Dieu, moyennant le couteau et
le feu, son propre fils unique Isaac: un fils reçu comme don de Dieu.
Ils étaient exactement en cet endroit. Quel présage, quels pressentiments
s'agitaient dans leur cœur! Donner à Dieu leur fils, celui que Lui-même
leur avait confié! Non, ce n'est pas facile, ce n'est pas compréhensible,
ils n'y arrivent pas. Après douze ans de fatigue, de foi mise à dure épreuve,
de don total de soi, ce n'est pas possible. Ils n'arrivent pas à le confier
pour toujours à Dieu: mais voilà, c'est lui-même qui, avec une douce violence,
sépare sa vie de la leur, vraiment comme si le couteau d'Abraham arrivait
à pénétrer dans le cœur non du fils, mais des parents: " Pourquoi
me cherchiez-vous? Ne saviez-vous pas que je dois m'occuper des choses
de mon père? "
Le soupir de soulagement pour l'avoir trouvé se transforme en un silence
profond. Ils ont trouvé l'enfant mais ce n'est plus celui d'avant, ce
n'est plus celui qu'ils cherchaient. Ils cherchaient le fils qui leur
appartenait et trouvaient un fils qui ne leur appartient plus. Ils cherchaient
un Jésus qui devait leur obéir, leur donner joie et satisfaction, qui
devait leur donner la certitude d'être aimés par Dieu et d'être en ordre,
et ils trouvent un Jésus qui obéit à quelqu'un d'autre, qui propose à
eux aussi une obéissance nouvelle. S'Il obéit au père, ils ne pourront
plus lui commander, au contraire, ils devront se soumettre, rester à l'écoute
du père, laisser le Fils libre de lui obéir, obéir eux-même à l'obéissance
du Fils. Ils cherchaient un fils reconnaissant pour les fatigues affrontées
pour lui et ils trouvent un fils qui demande de nouvelles fatigues sans
récompenses. Le Jésus ''tout pour eux" est mort, le Jésus qui donne
satisfaction et les rend contents de le posséder est mort pour toujours.
Ils ne l'auront plus.
Ils pourront vivre seulement avec un Jésus qui vit pour le père, qui tâche
de contenter Lui seul. Ils ne pourront plus lui commander, ils pourront
seulement l'observer et lui obéir et donner leur vie en sachant qu'il
ne dira pas merci, mais qu'il la présentera au père avec la sienne.
C'est l'expérience qu'a eu Marie de Magdala vingt ans après environ. Elle
cherchait Jésus dans le jardin de la sépulture. Lorsqu'elle l'a trouvé
ce n'était plus un Jésus pour elle, elle ne pouvait plus le retenir. c'était
un Jésus qui l'envoyait annoncer avec la parole et témoigner avec la joie
qu'il était vivant. Elle a trouvé un Jésus nouveau, qui accueillait sa
vie et ses énergies pour les donner aux hommes comme propriété à Lui.
Elle a trouvé un Jésus qui ne donnait pas joie et satisfactions mais devoirs
et mission. La joie aurait augmentée, aurait été différente, même plus
grande en sachant simplement d'être à Lui, propriété et instruments à
Lui.
L'expérience de Joseph et Marie est celle que je dois traverser. J'ai
reçu des dons et des qualités, une vie et une tâche, j'ai même reçu la
vie de Jésus à garder. Le père, qui me les a donnés, voudra s'assurer
qu'ils sont encore à Lui, que je ne m'en suis pas approprié. Lui-même
donc me demandera, maintes fois, de les lui donner, de détacher mon cœur
d'eux, de les sacrifier. Il me demandera de faire comme Abraham. Il me
demandera de ne pas chercher ma joie et ma sécurité
dans ses dons, même pas en Jésus, mais de Lui donner encore et complètement
ma vie entière, de l'unir dans l'obéissance à celle de son Fils qui s'occupe
de ses choses.
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