CACHE' DANS LE NUAGE
"Et nous avons contemplé sa gloire"
(Jean 1,14)
Le nuage cache toujours quelque chose: il cache les étoiles ou le ciel
bleu ou le sommet des montagnes. En même temps toutefois le nuage apporte,
ainsi qu'un don gratuit, une défense à la brûlure du soleil, un soulagement
à la terre assoiffée, l'annonce des saisons.
Notre Dieu arrive à nous caché, mais concret. Il se cache dans la nuée
de notre chair d'homme et dans la nuée de nos expériences. Il s'entoure
de la nuée des paroles humaines qu'il fait arriver à nous. Une nuée qui
ne passe jamais en vain. Celui qui sait et qui est attentif peut pénétrer
au-delà de chacune de ces nuées pour jouir du Soleil et cueillir le message
et l'apaisement qu'elles transmettent même quand elles cachent la grandeur,
la beauté et la puissance de l'amour de notre Dieu.
Le cœur de l'homme bat de la même façon depuis des siècles et des millénaires.
Les hommes qui ont eu à faire avec Dieu ont réagi comme réagissent ceux
qui ont à faire avec Dieu aujourd'hui.
Dans les très brèves phrases que nous ont laissés les Evangélistes sont
cachées des heures et des journées denses de vie et de conséquences pour
l'existence entière. Notre expérience soulève un petit peu le voile à
ces paroles qui, de façon tellement concise, présentent les personnes
qui ont vécu de près le fait central de l'histoire: la naissance de Jésus.
Leur expérience illumine la nôtre qui n'est pas moins importante. Eux
ont vu la naissance du Fils de Dieu dans l'histoire, nous, nous voyons
la naissance du même Fils dans les cœurs: celle-ci est le fruit de celle-là,
son achèvement. Nous sommes encore plus chanceux, encore plus responsables.
Nos yeux voient un noël continuel. Le Fils de Dieu reçoit chaque jour
la vie et l'existence moyennant notre devenir fils pour Dieu. Chaque jour,
Il reçoit de nous "la chair", il reçoit énergies et lieu pour
vivre et opérer.
Rien n'est impossible à Dieu!
Et nous devenons le cadre, beau ou taché, attrayant ou rebutant, de son
travail!
don Vigilio Covi
TABLE DES MATIERES
Marie
Zacharie
Elisabeth
Jean
Anne
Marie
Joseph ·
Les bergers
les mages
Hérode
Siméon
Les grands prêtres et les scribes
Marie et Joseph
Jésus
MARIE
"A ces paroles elle fut troublée " Lc 1,29
Quand j'essaie de vivre avec Dieu, en intimité avec Lui, il me semble
qu'il s'agit d'une action à moi, une façon que j'ai de le satisfaire,
s'il est possible de s'exprimer ainsi à son égard. Savoir qu'il est tout
près, que sa Présence se fait petite et secrète jusqu'à occuper mon cœur,
cela m'apaise. Une paix profonde enveloppe mon esprit, calme mon âme et
fait reposer chaque fibre de mon corps. Une paix qui fait apparaître belles
toutes les choses et qui permet d'accueillir tout évènement.
Ce n'est certainement pas mon action, ma recherche, qui produit un si
grand bien-être. C'est sa Présence.
Ma recherche d'intimité c'est seulement mon réveil, le fait de m' apercevoir
de sa Présence. C'est Lui qui agit et transforme. C'est Lui la paix de
l'homme, son repos.
Mais voilà qu'en cette paix, en cette eau tranquille, Dieu immerge son
doigt! Un mot, un devoir, une mission. Il s'est aperçu de ma disponibilité
et à présent il la touche. Le cœur parvenu à la paix, Dieu peut le posséder
et ... l'employer comme un instrument adapté à son amour.
Au plus profond de la paix de l'homme, voilà qu'une Parole de Dieu se
fait entendre. Peut-être ne veut-il pas la paix du cœur. Mais non, c'est
que le cœur qui repose en Lui est le plus adapté et prêt à recevoir la
Parole. Le cœur abandonné au père c'est celui prêt à recevoir le Verbe,
le Fils.
Mais il s'agit toujours d'un cœur d'homme. Et ce qu'il y a encore d'humain
s'agite lorsque le plus léger toucher de Dieu l'atteint.
Le cœur de Marie, parvenu à la paix de Dieu, immergé en Lui, se trouble.
Tout s'agite encore en elle! C'est un grand émerveillement: Dieu l'a aperçue
et lui a adressé la parole.
Elle-même ne s'apercevait presque plus de soi.
Dieu s'aperçoit d'elle, sa Parole la frappe. Elle en est troublée.
Juste au moment où il lui semble d'avoir atteint la plénitude, le but
final de l'existence, d'être parvenue à la paix, juste en ce moment la
Parole de Dieu arrive à l'improviste et la secoue.
L'homme se sent découvert et appelé. Appelé à une nouvelle dimension de
paix avec les autres hommes.
Et on recommence le travail, la fatigue de s'abandonner, de s'immerger
de nouveau en Dieu, non plus tout seul, mais avec tous les liens et les
relations avec les autres hommes et avec l'univers entier, avec toute
l'histoire. On s'achemine de nouveau, d'une paix déjà reçue à une paix
nouvelle, plus étendue, plus coûteuse.
On renouvelle une mort plus profonde, publique et durable, pour que puisse
recevoir la vie, croître et se manifester la Vie véritable!
Marie est "troublée". Un trouble passager, jusqu'à ce qu'elle
s'apercevra que la parole qui la touche et l'appelle c'est la Parole de
son Dieu et père qui avait rempli son cœur de sa paix. Voilà, je peux
me fier de lui, c'est en lui que je veux placer toute ma confiance. "
Qu' il m'advienne selon ta parole". C'est le retour de la paix sereine
qui explose en joie publique, comme est à présent publique la Parole reçue
qui transforme sa vie en une vie de mère:
"Mon esprit tressaille de joie en Dieu, mon Sauveur".
Mon cœur est troublé. Lorsque Dieu m'adresse une parole, ma vie court
vers la mort. Lorsque la Parole du père m'atteint, voilà, il veut faire
en moi une place pour son Fils. Mon moi, si petit et corruptible, se trouble
parce qu'il rencontre une nouvelle mort mais dès qu'il cèdera et laissera
toute la place à la Parole, alors une nouvelle Vie surviendra en remplissant
tout, tel un nouveau royaume pour toujours: c'est ta Vie, Jésus.
ZACHARIE
" Tu seras met et tu ne pourras parler jusqu'au jour…" Lc 1,20
Il y a des paroles qui passent et des paroles qui ne passent pas.
Il y a des paroles qui font partie du monde qui s'éteint et des paroles
qui viennent du monde qui dure pour l'éternité.
Les unes et les autres sont prononcées par mes lèvres en sortant de mon
cœur. La bouche, en effet, exprime ce qui est l'excédent du cœur. Mon
cœur est comme un récipient capable de contenir des trésors sans fin et
également des fanfreluches destinées au feu.
C'est de là que viennent les paroles. La bouche se meut pour exprimer
des désirs, des pensées, des jugements, des observations, des exclamations,
la volonté. Ma bouche se meut aussi pour exprimer les désirs, les pensées,
les observations et la volonté de Dieu!
Mais souvent ce que je dis, mes paroles, même si ce sont les paroles de
Dieu, ne touchent pas le cœur des hommes, ne produisent aucun fruit, elles
sont stériles.
Je m'aperçois alors d'être muet. Comme si j'étais muet. Comme si mes paroles
étaient de l'air qui sort des poumons sans rien communiquer, sans donner
la vie, sans faire grandir en celui qui m'écoute l'amour et la joie et
la force et la consolation et la grâce qui sont propres de la vie.
Comment se fait-il que mes paroles soient stériles? Comment se fait-il
que ce qui sort du cœur soit sans vie ?
Me voici muet.
Cela a été terrible pour Zacharie de se retrouver à l'improviste incapable
de dire quoi que ce soit. Mais pour lui c'était une grâce, un don de Dieu.
De son cœur qui doutait de Dieu, qui n'a pas pris au sérieux la Parole
de Dieu, de son cœur devenu désobéissant par suite de l'insuffisance de
son intelligence qui ne comprenait pas que Dieu était supérieur à l'expérience
de l'homme -qui, après un certain âge, ne peut plus avoir d'enfants- de
son cœur bloqué dans l'abandon à Dieu, aucune parole de vie n'aurait plus
pu sortir.
Zacharie aurait pu et su prononcer seulement des mots inutiles, sans vie,
stériles; seulement des paroles de convenance, des paroles sans lumière
divine, sans attraction au Seigneur. Ses paroles n'auraient plus été messagères
d'amour et de confiance en Dieu, elles n'auraient plus été signe ou "ombre"
de la Parole, du Verbe obéissant en tout au Père, du Fils saint et éternel.
Les paroles de Zacharie, s'il avait pu parler, auraient été des paroles
capables de mettre en évidence son incrédulité, la force de son raisonnement,
l'impuissance de l'expérience de l'homme et auraient caché au contraire
la toute puissance et la supériorité de Dieu! C'auraient été des paroles
de mensonge, de ténèbres, de ces ténèbres qui veulent recouvrir la lumière
de Dieu.
Le voilà muet. Dieu même l'empêche de devenir esclave des ténèbres.
Dieu ne m'accorde pas cette grâce. Mais il me permet de m'apercevoir
si mes paroles sont stériles, si elles ne communiquent pas la sagesse,
ni la joie ni la consolation. Il me permet de voir si mes sermons de prêtre
ne donnent pas de force aux cœurs qui écoutent, si mes entretiens avec
les personnes n'illuminent pas des voies nouvelles pour le chemin de leur
foi, si mon salut à ceux que je rencontre sur la route ne communique pas
l'amour de Dieu. Et alors ... alors c'est un signe que dans mon cœur quelque
Parole de Dieu a été refusée. C'est un signe de ma désobéissance et de
mon manque de confiance dans la promesse du Père, c'est le signe que j'ai
soumis les invitations de Dieu à mon raisonnement.
Je resterai muet, mes paroles seront stériles jusqu'au jour où mes lèvres
ne s'ouvriront qu'aux louanges de Dieu. Jusqu'au jour où j'aurai fait
une nouvelle expérience d'abandon et d'obéissance au Père, jusqu'à quand
sa Parole n'aura trouvé en moi un terrain pour germer et grandir.
Alors ma vie sera de nouveau un don de Dieu et non seulement les paroles
sortant de mes lèvres mais aussi ma présence silencieuse communiquera
quelque chose de la Vie qui est dans le Fils de Dieu!
Zacharie recommença à "parler" quand il voulut dire: Beni soit
le Seigneur, le Dieu d'Israël, parce qu'il a visité et délivré son peuple",
c'est-à-dire lorsque Dieu devint à nouveau son Dieu, plus important que
lui-même.
ELISABETH
"elle conçut et se tint cachée durant cinq mois.
Voilà ce qu'a fait pour moi le Seigneur au temps où il lui a plu d'enlever
mon opprobre parmi 1es hommes " Lc 1,24
L'homme ne se met pas toujours en évidence. Il y a eu et il y aura des
périodes de ma vie où j'ai cherché -et je chercherai- de me cacher.
Je crois que la cache fait partie de la vie authentique, comme pour la
plante qui doit rester cachée sous la terre jusqu'à ce que la semence
n'est pas morte, comme pour l'eau qui doit courir sous les cailloux, cachée,
jusqu'à ce qu'elle trouve l'espace pour se donner, comme pour la vie de
l'homme qui doit rester cachée dans la mère jusqu'à son heure.
Lorsque Dieu me touche et s'unit à moi -et il ne manque pas d'appeler
à ces rendez-vous les fils destinés à lui ressembler- je cherche inévitablement
une cachette, faite de silence, de simplicité, d'espace vide et libre
de toute autre chose ou personne. On dirait que la présence des autres
me vole quelque chose, m'enlève un je ne sais quoi de précieux et de vital.
Ils me détachent presque de la présence de Dieu, qui est la seule que
j'ai trouvée pleine et que je voudrais déguster, et dont je voudrais me
laisser remplir.
Elisabeth se tint cachée durant cinq mois. Elisabeth s'est sentie privilégiée
par Dieu. Elle a compris que quelque chose d'encore plus caché est né
en elle, d'intime et secret. Et la voilà alors participer à cette cachette
et elle se retire. Elle vit dans un désert nouveau, cherché, créé autour
d'elle. Elle avait fait l'expérience du désert, se sentant inutile à la
vie car elle était stérile, et tous ceux qui vivaient et s'agitaient autour
d'elle lui rappelaient ce qui lui manquait. Elle voyait dans tous les
hommes des fils, elle qui n'en avait pas. Et elle était isolée. Obligée
à rester exclue de la vie. Désert aride, cuisant, mortifiant.
A présent elle continue mais ce n'est pas la même chose. A présent c'est
le désert qui cache et protège la vie. C'est un désert de joie et de consolation
Un désert qui est préparation au retour parmi les hommes.
Elle se tint cachée durant cinq mois. Un désert nécessaire: dans ce désert
elle est encore adressée, avec ses pensées et son cœur à elle-même; elle
voit Dieu penché sur elle. C'est la période de passage. Elle s'était vue
refusée par le Seigneur durant tous les ans de sa vie et à présent le
Seigneur l'accueille. A présent elle se contemple encore comme accueillie
par Dieu et jouit de ce don qui lui est fait. Et dans le don de Dieu qu'elle
a reçu elle constate la bienveillance du père à son égard. Plus de honte!
Plus d'humiliation! Elle est maintenant comme toutes les femmes !
Ce sont cinq mois de joie, cinq mois de louange à Dieu pour ce qu'il
lui a accordé, cinq mois d'attention à elle-même.
C'est un désert qui prépare une nouvelle saison.
Cinq mois pour préparer Elisabeth à voir son propre don comme un don de
Dieu à l'humanité, comme un don du père au Fils, cinq mois pour se préparer
à s'unir au père pour donner son fils, pour considérer le don reçu comme
un devoir, pour comprendre que son propre fils n'était pas destiné à elle,
pour sa personnelle satisfaction, mais que ce fils était pour elle l'occasion
de se donner, de se sacrifier, d'offrir soi-même au Seigneur pour le salut
des hommes.
Des mois de retraite pour Elisabeth parce que mois de maturation, de passage
de la possession égoïste du don de Dieu à l'union de soi, de sa propre
vie, à ce don! Le passage de la réception au don, de l'attention à soi
(qui produit honte avant et ensuite vanterie) à l'attention aux projets
de Dieu.
Seulement après cette maturation, après ce passage lent mais nécessaire,
Elisabeth sera prête à rencontrer la Mère qui l'approchera au Seigneur
!
Ma retraite, mon désert terminera. C'est toujours et seulement un passage.
C'est un lieu de maturation.
Un lieu où je devrai me détacher de moi-même, apprendre à détourner mon
regard de ma vie sans me complaire si le père y a posé le sien. S'il va
m'enrichir de dons, ce ne sera pas pour ma gloire mais parce que ma vie
puisse entrer en un service plus plein et prêt à sa volonté. Si le Père
m'a donné quelque chose, il m'en demandera le fruit parce qu'il a caché
dans mon cœur une semence; je cherche le désert, j" essaierai de
rester caché: la semence de Dieu lorsqu'elle germera et donnera le fruit,
enlèvera ma vie de l'ombre, de la protection, et la mettra sur le boisseau.
Mais ce n'est pas moi qui veux le faire. Je ne connais pas le temps de
Dieu. Cinq mois? Même plus s'il le veut. Et encore de nouveau, chaque
fois qu'il veut se servir de ma vie pour répandre la sienne.
JEAN
"L'enfant tressaillit dans son sein " Lc 1,41
Il arrive de temps en temps que j'éprouve une grande joie, une de ces
secousses intérieures qui me font heureux sans qu'il y ait une raison
extérieure qui puisse justifier cet état. Ma vie intérieure a subi quelque
impulsion secrète qui porte tout mon être à exulter et jouir. L'interrogation
que je me pose de savoir la raison de cette agréable surprise trouve une
réponse lorsque je contemple les enfants. Les enfants jouissent d'une
liberté toute particulière. Une liberté où peuvent se manifester avec
évidence et certitude les fruits de l'esprit qui s'approche d'eux. Tu
t'approches d'eux avec un esprit superficiel, ou de possession, ils se
réfugient ailleurs, ils s'enfuient. Tu t'approches avec respect et amour,
ils restent sereins et limpides. Tu t'approches avec liberté, tu leur
parles de Jésus, tu leur donnes seulement son Nom avec amour pour Lui,
et ils jouissent, ils ouvrent le cœur, les yeux, le visage à une nouvelle
lumière claire. La joie de la vie, la beauté de la création, la suavité
d'une force intérieure les effleure. Le Nom de Jésus qui parvient à leurs
oreilles, prononcé par l'amour, les fait vivre. Même la seule présence
de Jésus dans ton cœur, s'il est présent, les attire. Et les parents sont
obligés par l'inerme violence de l'enfant de s'approcher à Jésus, de laisser
vibrer leurs entrailles comme si une petite violence intérieure produisait
une révolution dans leur propre histoire, dans leurs décisions autosuffisantes,
dans les certitudes qu'ils ont acquises.
Jean, sans conscience et sans capacité de voir et d'entendre, caché dans
sa mère, vit, protégé de tout: seul l'esprit peut l'atteindre et l'agiter
de l'extérieur. Une autre Mère s'approche à la sienne. Il ne la voit pas,
il ne l'entend pas. Mais il sent s'approcher l'Esprit de son Seigneur,
de celui à cause duquel il naîtra, vivra et mourra. Une rencontre mystérieuse,
muette, de deux vies renfermées et protégées dans l'obscurité. Deux vies
qui ont déjà un nom, secret. Personne ne le prononce encore, mais il existe
déjà! "L'enfant" encore incapable d'une propre vie, est capable
d'une propre joie! L'approche de Jésus est plénitude de vie, l'approche
de Jésus est le but de tout, c'est atteindre tout. La joie de l'enfant
caché est violence pour Elisabeth, sa mère. Une douce violence qui l'éveille,
qui la rend attentive et la pousse à la docilité.
Elle se demande la raison de la joie subite de son fils, du fruit de ses
entrailles: une joie qui atteint celui qui ne peut encore rien décider.
Comment peut-il jouir, se réjouir, tressaillir? Lui qui encore ne possède
pas toute la vie a été atteint par la Vie. La mère s'en aperçoit, elle
qui sait bien que la joie ne vient pas du monde et des choses et promesses
du monde, elle s'aperçoit d'avoir été précédée et avertie et vaincue par
qui peut recevoir une impulsion seulement de la part de l'esprit. Elle
s' aperçoit que son fils a constaté la présence de Celui qui donne plénitude
et signification à toute chose et à toute vie !
Il commence déjà, sans en être conscient, sa tâche!
Il annonce à présent à sa propre mère la présence de Celui qui la sauvera,
comme il l'annoncera ensuite, avec toute autre véhémence, à des hommes
esclaves du mal ayant besoin de secousses violentes et fortes pour s'en
débarrasser et s'en libérer.
Seulement par l'esprit Jean reconnaît et reconnaîtra le Seigneur.
Sa vie devra se méfier de tout ce que ses yeux découvrent et de ce que
sa chair sent: elle le portera à douter, à être incertain, à interroger.
Seul l'Esprit, qui précède et ne tient pas compte des évidences et des
expériences de haine et de mort, seul l'Esprit lui révèlera, pour sa joie
et sa paix, la présence et la grandeur de l'amour de l'Epoux.
Comme un enfant je veux me laisser toucher par ce que mes yeux ne voient
pas et par ce que mes sens ne touchent pas. La vie, la vie véritable et
éternelle du Fils de Dieu, m'atteint dans les ténèbres, dans la nuit,
lorsque intelligence, sentiments et sens se taisent. Lorsque je ne permets
pas aux hommes de m'influencer avec leur haine et leur péché, quand je
ne fais pas attention aux hurlements qui se croisent autour de moi, quand
je reviens avec mon cœur à l'écoute secrète de Celui qui s'approche de
moi -secret Lui aussi- alors ma vie exulte et en moi un nouveau chant
-comme d'un enfant ignare- apporte à mes jours douleur et force.
Je retourne enfant et je pourrai entendre ce que personne n'entend, je
pourrai être touché par ce que personne ne peut toucher, je pourrai jouir
de joies cachées et ainsi -sans le savoir- éveiller les cœurs pour qu'ils
s'aperçoivent d'une autre Présence.
MARIE
"Elle l'enveloppa de langes et le coucha dans une crèche"Lc
2,7
Un esprit bizarre -si l'on peut dire ainsi- possède les personnes qui
se font conduire en simplicité par Dieu. C'est un esprit de prophétie.
Elles ne s'imaginent même pas que leurs actions sont dirigées de loin
et préludent à des faits lointains, faits où Dieu même agira. Mais Dieu
même donne à l'avance des signes et des paroles, Dieu même veut presque
pré-annoncer, mettre au courant ses amis plus attentifs et plus simples
sur ce que sont ses intentions et à quels évènements il va les préparer.
Les faits de ma vie ont eu tous le même Coordinateur et ont été permis
et accueillis par le même père dans sa sagesse. Je ne peux pas dire qu'ils
aient eu le même Auteur parce que quelquefois j'ai laissé agir en moi
quelqu'un qui n'était ni l'Amour du père ni l'amour du Fils.
Les faits qui m'ont touché dans la vie, petits et grands, ont par conséquent
tous une signification unitaire et profonde. Mais pour découvrir cela
ou pour le voir simplement, il faut la transparence de l'eau vive et la
finesse de l'air pur, il faut laisser complètement sa vie, avec son intelligence,
sa mémoire, sa force, sa volonté, à la merci de cet Esprit qui conduit
tout évènement vers le but final;
un geste simple, le plus naturel que Marie pouvait faire et qu'elle a
accompli certainement dans l'ignorance de mes pensées, me communique à
présent des messages grands et glorieux.
Elle a enveloppé le corps nu et fragile de son petit enfant dans les langes.
Elle l'a déposé dans un endroit simple et protégé. Certainement elle ne
savait pas que son geste si spontané était déjà le prélude d'un autre
geste qu'elle même aurait accompagné. Le même Esprit guidait ses mains
et son cœur. Langes et grotte changeront de nom et deviendront linceul
et sépulcre: ce sera encore elle qui enveloppera et déposera. Et ce sera
encore Lui, ce Fils, qui sera enveloppé et déposé. Marie dès le début
possédée par le Saint Esprit qui met en mouvement l'histoire selon des
desseins d'amour, annonce un nouveau commencement, celui définitif. Cet
enfant sortira de cette crèche pour être adoré, ce corps enveloppé sortira
du sépulcre pour être glorifié. L'esprit de prophétie conduit les mains
de Marie, sans même qu'elle s'en aperçoive! Elle le prépare à la gloire!
Le Saint Esprit qui à travers toute circonstance et à travers toute chose
veut nous parler du Fils, qui veut nous faire connaître et accueillir
l'amour du père, voilà qu'il fait accomplir à Marie un geste qui nous
annonce quelque chose.
Le père mettra Jésus là où tout le monde le verra et lui, le Fils se mettra
là où il pourra être mangé.
Le Saint Esprit aujourd'hui m'approche de la table où ma vie se nourrit
et grandit vers l'éternité et là où l'Esprit même me prépare encore un
Corps à manger, un pain qui est la Vie de ce Fils.
Les mains de Marie, instruments sans le savoir de l'Esprit de Dieu, sont
pour moi prophétie, elles me donnent la joie de savoir que dès le début
ce Fils a été déposé dans une crèche pour que les hommes - étant malheureusement
des animaux - puissent s'en nourrir et devenir fils.
Mais le même Esprit est encore à l'œuvre et souffle et meut mains et cœur
d 'homme pour annoncer et donner amour et nourriture divine.
Le reconnaître? Oui, c'est important mais c'est un don de lumière que
Lui-même accorde à celui qui ne le prétend pas!
Plutôt laisser qu'il conduise mes mains et mon cœur: afin que mon cœur
et mes mains deviennent un signe pour ceux qui savent lire les signes,
même si je ne le sais pas, et afin que mon cœur et mes mains portent cet
Amour qui, même s'il n'est pas déchiffré, contient la puissance et le
cœur et la sagesse de mon Dieu.
Le même Esprit meut encore les gestes des hommes et les faits du monde
qui deviennent et sont pour moi des signes : les signes du temps. Signes
qu'il est temps d'aimer, qu'il est temps de laisser faire à Dieu, qu'il
est temps de lui confier ma vie, qu'il est temps de me laisser envelopper
et déposer avec le Fils de Dieu par les mains des hommes. Et ces mains
seront comme des mains de mère qui, sans le savoir, réalisent un amour
plus grand et préparent un amour plus lointain et parfait.
C'est l'Esprit de prophétie, l'Esprit de Dieu. Mes yeux sont presque constamment
embrumés, ils ne voient que l'apparence: comme des yeux qui voient bouger
les pantins sans s'apercevoir de Celui qui les bouge et qui leur donne
la voix !
Viens, Saint Esprit! Pour que je voie au-delà, pour que l'entrevoie l'Amour
du père et, en acceptant tout évènement avec sérénité, pour que je me
prépare à cet évènement qui m'est toujours annoncé et demandé: ma déposition
dans la crèche du monde, ma rencontre avec le sépulcre, et ma sortie glorieuse
vers l'Amour du Père.
JOSEPH
"Il l'appela Jésus" Mt 1,25
Vivre simplement et obéir avec amour aux invitations et aux commandements
de Dieu rend l'homme sage et estimé par les autres hommes. Celui qui vit
ainsi fait tout naturellement et spontanément comme si c'était la façon
la plus évidente et claire, presque l'unique, d'exister.
Il sait que tout a origine en Dieu et que de Dieu est le mérite de la
bonté et de la réussite de toute œuvre, pour petite qu'elle soit.
J'ai envie de rougir -je ne dis pas de honte, mais comme pour un mensonge
manifeste bien qu'involontaire- lorsque quelqu'un me remercie ou me loue
pour quelque parole ou pour quelque action que j'ai accomplie. Je l'ai
fait seulement pour obéir à Dieu parce que j'ai trouvé sa Sagesse très
opportune et véritable, et les hommes s'arrêtent pour me regarder et me
louer. Comme si on faisait un monument au marteau et au burin du sculpteur
d'une œuvre d'art.
Je sens de voler quelque chose à Dieu mais je n'y peux rien! Parfois on
ne peut même pas parler, il faut se taire et laisser croire que, si, c'est
mon mérite. Seulement dans la profondeur de mon cœur je garde le secret,
je loue le Seigneur, Lui qui seul est capable de m'ouvrir les yeux, de
les ouvrir aux autres pour qu'ils reconnaissent ce qui vient de Lui/même
si c'est au moyen de mes mains ou de ma bouche.
C'est ainsi que cela doit être arrivé à Joseph. Il recevait les éloges
de tous: lui, le menuisier, père d'un enfant adoré par les anges, par
les bergers, par les rois mages, craint par Hérode.
Il recevait les éloges, l'estime et l'honneur.
Et il pouvait seulement rougir. Il ne pouvait dire à personne ce que lui
seul savait. Il ne pouvait dire à personne l'œuvre du Saint Esprit. Lui-même
ne l'avait pas compris par la raison mais seulement par don divin survenu
dans le sommeil pendant que ses facultés reposaient. Il comprenait la
prière que son peuple répétait souvent "don de Dieu sont les fils".
Lui n'avait fait absolument rien, il n'avait même pas choisi le nom de
son fils. Celui-là aussi lui avait été donné pendant qu'il dormait! Personne
le sait. Il ne peut le dire à personne. Il reçoit l'éloge des hommes,
éloge injuste. Cet éloge pour lui c'est la mémoire de sa croix, de la
dernière place qu'il occupe, du renoncement continuel qui lui est demandé.
C'est aussi la mémoire de son choix d'obéissance totale à Dieu. C'est
le rappel à ce que Dieu a pu accomplir moyennant ses "oui" répétés
à sa Volonté grâce à sa continuelle et complète disponibilité.
Voilà la seule chose, le seul mérite de Joseph: il a seulement dit "oui"
dans son cœur. Il a seulement obéi.
Il n'a pas le mérite d'avoir pris quelque initiative, ni d'avoir usé l'intelligence
pour trouver quelque solution aux problèmes, ni d'avoir trafiqué des talents
particuliers de ruse ou de puissance. On ne dit même pas s'il a eu des
capacités spéciales de prière.
Son seul mérite c'est d'avoir eu le cœur libre de ses initiatives, prêt
pour celles de Dieu. Un cœur disponible, abandonné tout à fait et pour
toujours à la Volonté savante de Dieu.
Peut-être il savait, en tous cas il croyait, que Dieu était plus intéressé
que lui-même à sa vie et il se fiait. Dieu même était intéressé à la vie
de son épouse et il se fiait. Dieu même était intéressé à la vie du fils
nouveau-né: il lui avait même suggéré le nom. Et Joseph sent que la confiance
que Dieu lui accorde -à lui, homme- est si grande, et il ne la mérite
sûrement pas. Une seule attitude lui est possible: c'est de s'abandonner
encore plus décisivement et d'obéir sans tarder. Il l'appela Jésus.
Les hommes qui me louent comprendront un jour. Quand Jésus aura grandi
à leurs yeux ou plutôt quand leurs yeux s'ouvriront pour le voir et le
contempler, alors ils ramèneront tout aux justes proportions et il verront
la réalité. Ils comprendront alors que je suis un homme comme eux et eux
comme moi.
Mais ils pourront alors se rendre disponibles à la voix de Dieu et se
préoccuper seulement de réaliser la Parole qui sort de sa bouche. Lorsqu'ils
comprendront que le don reçu par Joseph a été une croix pour lui et lorsqu'ils
verront que sa croix a été le don le plus grand qu'il pouvait recevoir,
alors leur cœur et leur bouche s'ouvriront pour louer le Seigneur. Alors
leur cœur et leurs mains s'offriront à l'abandon aux signes de Dieu. Seulement
alors ils comprendront que l'homme n'a pas besoin d'être loué, que l'homme
de Dieu rougit comme pour une injustice et un mensonge s'il reçoit des
honneurs. Et que ceux-ci sont seulement une tentation et une croix pour
lui.
Mais pour le moment je ne peux rien dire. Seulement invoquer la lumière
et une grande miséricorde sur tous les hommes pour qu'ils arrivent à recevoir
et à prononcer avec amour ce nom seulement: Jésus.
LES BERGERS
" et les bergers s'en retournèrent glorifiant et louant Dieu pour
tout ce qu 1 ils avaient vu et entendu selon ce qui leur avait été dit
" Lc 2,20
La vie continue avec ses rythmes habituels. Le jour succède à la nuit,
la nuit recouvre la lumière du jour. Les hommes travaillent le jour et
donnent la nuit ou bien la nuit ils font le mal qu'ils ne peuvent commettre
le jour.
Ils obligent ainsi d'autres hommes à veiller sur leur propre vie et sur
leurs propres choses. Les hommes ne savent pas construire du nouveau.
Les nouveautés durent peu et rentrent dans l'ordre de la normalité. Les
nouveautés des hommes accélèrent seulement leur rythme d'attention et
de peur, de joies aussitôt éteintes par les souffrances et le péché.
La véritable nouveauté peut survenir seulement du dehors, de là-haut.
Et elle est arrivée. Ce n'est pas un fait, ce n'est pas un évènement de
l'histoire, cela n'a pas une grande importance. C'est simplement une autre
vie. C'est un autre homme, petit et inerme comme les autres. La seule
différence c'est que de lui on a déjà parlé et entendu parler.
Mon cœur d'homme me le disait: quelqu'un viendra, je le rencontrerai finalement,
un homme tout fait d'amour. Un homme capable d'aimer comme je voudrais
l'être, un homme capable de se laisser aimer par moi, même si je suis
si pauvre et mesquin et incapable d'un grand amour. Quelqu'un doit venir
qui sache apprécier ce peu d'amour qu'il y a dans mon cœur et qui reste
malheureusement caché parmi mes péchés. Les hommes voient mes péchés;
quelqu'un viendra qui saura voir ce peu d'amour! Les hommes ne m'estiment
pas digne et ne se laissent pas aimer par moi, ils veulent toujours payer
mon amour, me récompenser, me le rendre.
Personne n'accueille pleinement ce que je veux donner. Quand viendra celui
qui aura un amour si grand qu'il acceptera le don de ma vie, alors ce
sera un jour nouveau; alors une lumière sans fin se fera, capable d'illuminer
les ténèbres et toutes ténèbres ne seront plus obscures au point d'empêcher
de marcher ensemble avec les autres hommes.
Les bergers en ont entendu parler. Ils sont simples mais capables de distinguer
le bêlement de chaque brebis et de distinguer les bêlements de douleur
et ceux de la joie, ils savent aussi distinguer les voix des hommes des
voix des anges.
Ils ne cherchent pas les signes de la grandeur, ils ne sauraient s'approcher
aux signes de la puissance et de l'intelligence. Ils savent lire les signes
de la pauvreté, ils savent les lire même la nuit car ils sont habitués
à ne voir rien! Les voici s'acheminer "sans hésitations" là
où les messagers de Dieu les envoient. Messagers de Dieu! Oui, il n'y
avait pas d'intérêt dans leurs paroles, il n'y avait pas de peur, il n'y
avait pas ce que d'habitude il y a dans les messages provenant de l'homme.
Dans le message reçu dans la nuit il y avait seulement de l'amour: un
amour caché, dont on ne voyait ni le commencement ni la fin. Mais un amour
concret, avec des signes concrets. Et au concret on répond par une course
"Allons voir". Ils trouvent seulement et rien de plus que ce
qu'ils s'attendaient. Ils trouvent un enfant normalement enveloppé de
langes avec des parents normaux. C'est un don pour eux? Oui, c'est un
don, un don vivant: pour qu'il reste tel, il est demandé que celui qui
le reçoit se fasse don pour lui. C'est le don le plus grand car il accueille
ma vie, il accepte que je l'aime comme je peux, comme un pécheur.
Les bergers lui donnent leur voix. Leur cœur déborde de la joie de se
sentir aimés, de se savoir accueillis, la joie de savoir d'avoir été choisis
pour voir la Vie. Leur vie n'est plus la même qu'avant. Ils continueront
à veiller la nuit sur leurs troupeaux, ils iront encore à la recherche
d'herbe et de sources d'eau, ils tondront encore leurs brebis et seront
attentifs aux bêlements: mais ce sera différent. Ils savent que Lui vit
pour eux, ils savent qu'ils vivent pour Lui. La vie n'est plus fermée,
le ciel n'est plus un bol renversé sous lequel ils doivent trimer, la
terre avec sa nuit et ses brèves journées n'est plus une ennemi. A présent
il y a l'ami.
Ma vie aussi s'est transformée comme celle des bergers. Rien de nouveau
au dehors. Je fais ce que je faisais. Mais à l'intérieur tout est nouveau.
Je ne suis plus seul: c'est Lui, l'Ami. Il est né, il est vivant. Même
si je ne le vois plus ou s'il s'est caché parmi les hommes, il y est.
Dans le secret
de la nuit je lui ai donné et je continue à lui donner ma vie. Il accepte
chaque geste de mon amour. Je suis un pécheur mais son regard couvre la
multitude de mes péchés parce qu'il regarde dans la nuit et qu'il voit
même l'amour caché dans mon cœur.
Les bergers retournent en parlant à tous de Celui qu'ils ont rencontré,
avec la joie de celui qui vit une vie différente, nouvelle, lumineuse.
Ma bouche aussi s'ouvre pour parler de Lui. Et de qui d'autre on pourrait
remplir le monde sinon de celui qui remplit le cœur?
LES MAGES
"puis, ouvrant leurs cassettes, ils lui offrirent en présent de
l'or, de l'encens et
de la myrrhe " Mt 2,11
Nombreux sont les trésors des hommes. Chaque homme en cache une bonne
quantité. Il les tient cachés parce qu'il a peur des autres hommes, ou
bien il les laisse voir, il les expose bien pour être admiré, pour être
considéré, pour être craint. Alors son trésor c'est ce désir de vanité
ou d'orgueil.
Moi aussi j'ai mes trésors. J'en ai accumulé et j'en ai laissé perdre
beaucoup durant le cours de ma vie. Les trésors de la terre ont cet avantage:
ils perdent facilement leur valeur. Ceci pourrait être une aide pour l'homme
qui devrait ainsi être porté facilement à chercher des trésors éternels,
mais l'homme, au contraire -mon cœur d'homme- ne se résigne pas si facilement
aux déceptions et il cherche la revanche. Il veut être roi. Il tend à
être roi. L'homme voit, dans le roi, celui qui a la liberté, qui peut
faire ce qu'il veut. Il voit dans le roi celui qui est honoré et servi
par d'autres hommes inférieurs à lui. Il voit dans le roi celui qui possède
tout ce qu'il peut rêver. Au fond, dans le roi, il voit celui qui peut
satisfaire sans honte et sans empêchements ses passions.
Voilà le trésor caché, auquel l'homme est lié et auquel il soumet tous
ses trésors. C'est l'homme normal. Cet homme vit en moi aussi. Je désire
la liberté, de pouvoir faire ce que bon me semble! Je désire être aimé,
estimé, vivre longtemps pour voir les hommes se plier devant moi, vivre
toujours! Je désire des richesses, pour pouvoir faire l'aumône, bien sûr!
Mais je désire des richesses estimées par le monde !
Les Mages avaient ces choses-là. Ils en avaient abondamment. C'étaient
de vrais rois! Ils possédaient de l'or, des richesses précieuses, qui
leur permettaient la liberté de faire et d'avoir selon leurs désirs. Ils
possédaient l'encens, c'est-à-dire l'honneur et la gloire des hommes:
Ils étaient admirés et servis comme si leur visage eût été lumineux. Ils
possédaient la myrrhe, la possibilité de rester ici -bas longtemps, au-delà
de la mort, de laisser ici quelque chose de soi, au moins leurs propres
noms, le nom de leur famille de façon à être encore honorés et servis
dans leur descendance! Ils avaient ces choses-là mais ils n'étaient pas
encore contents. Ils cherchaient, ils voulaient trouver quelque chose
de plus sûr qu'eux-mêmes. Au fond ils sentaient que -bien qu'étant rois-
ils l'étaient seulement aux yeux d'hommes mortels et selon des conceptions
et des points de vue destinés à finir.
C'est pourquoi ils cherchaient. Il ne leur manquait pas l'intelligence
ni la prudence pour chercher. Eux aussi, bien qu'étant rois, trouvent
quelque chose la nuit seulement. Leur intelligence et leur or n'illuminent
pas suffisamment.
Leur désir est toutefois sincère et celui qui scrute les cœurs et les
juge les a trouvés dignes de son amitié. C'est le Roi de l'univers, le
père des peuples et il trouve que ces cœurs de roi sont suffisamment petits
pour pouvoir les remplir de soi. Il se sert non de ce qu'ils ont en plus
des autres hommes, mais de ce qui les rend pareils aux autres pour se
rencontrer avec eux. Il se sert de leur humilité et simplicité. Le signe
de l'étoile pouvait être comprise par leur intelligence, mais accueilli
seulement par leur humilité.
Et seule leur simplicité pouvait regarder l'enfant dans les bras de sa
Mère avec des yeux capables de voir en lui divinité et royauté. Un grand
changement survient en eux comme par miracle. Cet enfant change leur vie.
C'est lui le véritable roi. C'est lui qui doit recevoir l'honneur et la
gloire des hommes, c'est lui qui saura administrer l'or avec désintéressement
et sans le désir de s'enrichir, c'est lui qui doit rester pour toujours
sur cette terre! C'est lui qui doit pouvoir faire ce qu'il veut car ce
qu'il veut sera garantie de liberté pour tous! Ils ont trouvé celui auquel
appartient leur titre de roi, celui auquel peut même appartenir leur règne
avec leur propre vie! Dans ses mains on peut mettre l'or, garantie de
liberté, devant lui l'encens, garantie d'honneur et de gloire; on peut
lui donner la myrrhe, sûreté d'un futur stable.
Une petite lumière dans la nuit, comme un éclair rapide qui perce les
ténèbres des pensées du monde, m'a révélé à moi aussi la grandeur de cet
enfant. Dans ses mains mes trésors les plus précieux deviennent encore
plus resplendissants. Cette petite lumière devient peu à peu la seule,
elle devient un soleil constant.
Mes trésors appartiendront à Lui. Il est encore petit, sa Mère les recevra
pour Lui. Je dépose à ses pieds ce que l'écrin de mon cœur protège jalousement:
l'amour des richesses, le désir de la gloire, la volonté de liberté, la
soif d'un futur assuré par celui qu'on aime. Dans ses mains tout cela
portera plus de fruit. Je me retrouve le cœur vide: vide de liberté, vide
du désir d'avoir, vide d'affections humaines. Vide, mais libre! Libre
de recevoir la vie de cet enfant avec ses désirs et ses richesses! Il
est riche de pauvreté, il est riche d'obéissance et de chasteté! Lorsqu'il
déversera en moi ses trésors reçus des cieux, ma vie deviendra la vie
d'un roi; je re cherche plus rien, je re cache plus rien. Ces trésors
je peux les donner sans les perdre et leur valeur ne diminuera jamais.
Ils me garderont caché pour toujours dans le cœur de Celui que tous les
cœurs recherchent.
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